lundi 28 février 2011

Les gaz de schiste ? Quand ce gâchis a-t-il commencé?

Comme mes concitoyens, je vis depuis des mois maintenant avec le gaz de schiste, plongé dans une odeur nauséabonde de mal gérance, d'improvisation, d'incurie. Dans ce climat malsain, contre cette pollution de la notion même de gouvernance, malgré des lois censées les protéger, des citoyens s'engagent, cherchent et trouvent, s'impliquent, se lèvent, contestent.

Pour moi le gâchis a commencé à St-Hyacinthe. Montréalais importun, je me suis présenté aux portes de cette assemblée où des citoyens exaspérés demandaient de véritables réponses à leurs questions. À ce moment, j'ai cru que le gâchis provenait uniquement de l'incurie de ceux qui disent nous gouverner. J'avais déjà manifesté devant les locaux de Gaztem avec le foudroyant Vaillancourt. Devenu abatteur des colonnes du temple à St-Hyacinthe, il pourfendant les industriels. Il avait compris ce que je n'avais pas encore saisi. Ce gâchis était aussi le fait d'une industrie qui partout où elle débarque s'assure de la coopération des gouvernements, fait miroiter des millions, se fait céder, comme en France, des milliers de kilomètres carrés de droits gaziers en catimini.

Le film Gazland nous a tous mis la puce à l'oreille et m'avait ameuté. Après la tempête des assemblées publiques, je me suis présenté au BAPE. Entre ce qu'affirmait Gasland et les propos des industriels, présents devant nous comme des experts crédibles de cette commission, il y avait un hiatus qu'il fallait expliquer. Curieusement, devant cette commission, le territoire d'implantation de cette industrie n'était jamais nommé pour ce qu'il est. Le BAPE ne nous a jamais présenté la carte des usages du sol dans la vallée du St-Laurent superposée à celle des permis émis. On nous montré des plans en coupe de la géologie insistant sur le fait que le shale d'Uttica était très profond, ce qui éliminait les risques de remontée des gaz et des fluides de fracturation. On nous a dit que les puits bien formés, de façon exemplaire au Québec au contraire de ce qui se passe ailleurs, surveillés par MRNF, seraient parfaitement sécuritaires. Tous les documents des ministères et des agences insistant sur ce fait : les normes du ministère assurent et assureront l'étanchéité des puits. Pas très convaincu, comme mes concitoyens, je me suis plongé dans la documentation.

L'industrie nous accuse de trouver de la documentation auprès des organismes qui contestent ses activités. Elle a raison, mais cette documentation ne vient pas nécessairement des contestataires eux-mêmes. Souvent le fait d'experts, ces études contredisent les dires de l'industrie. La première étude qui m'a frappé est celle d'Hazen et de Sayer. Elle montrait que la fracturation hydraulique pouvait induire ou réactiver des failles dans le sous-sol et conséquemment contaminer les nappes phréatiques. Cette étude circonscrivait une bonne partie des impacts environnementaux de l'industrie. Une bonne partie de ce qu'affirmait Gasland était chiffré, démontré, expliqué. Il y avait une autre vérité que celle des ministères et de l'industrie. J'ai donc présenté ce document au BAPE. Le président s'est empressé de me demander : « c'est une étude scientifique? » J'ai répondu un oui sincère. Il l'a ajouté à la documentation du BAPE en son nom et non en mon nom. Je ne sais pas pourquoi? Depuis, la plupart des études qui contestent un tant soit peu les dires de l'industrie ont été déposées par des citoyens. Le BAPE semble être incapable de trouver ou de présenter des études indépendantes qui contredisent les affirmations l'industrie ou du MNRF, et pourtant elles existent.

J'ai hésité à présenter un mémoire. Il était évident pour quiconque s'est un tant soit peu renseigné, et je le dis, nous sommes des centaines à avoir cherché une certaine vérité, que le temps alloué au BAPE était trop court. Son mandat, même tronqué, ne pouvait être rempli dans le temps allouée. Comment le BAPE peut-il étudier pendant des mois les conséquences de l'érection d'une usine à Jonquière et dans ce même laps de temps se prononcer sur une industrie complexe et polluante? L'exploitation d'un seul site de forage demanderait une commission complète du BAPE! Comment décréter la réglementation d'une activité dont on ne connait pas les conséquences exactes sur la santé et l'environnement? Pour la seule question de l'eau, il faudrait commander une étude aussi coûteuse et approfondie que celle de l'EPA. Le BAPE devrait engager pendant des années temps et argent à des études sur la pollution de l'air, sur la sécurité des puits, sur les impacts sociaux, sur le bilan économique de cette industrie. J'ai pourtant décidé de présenter un mémoire dans le temps très court qui m'était alloué. Je me suis mis à la tâche, parce que pour moi le point essentiel de cette exploitation n'était pas seulement qu'elle était potentiellement polluante, mais qu'elle se produisait sur 60% de nos terres propices à la culture. J'ai commis une mini étude d'impact sur la région du Centre du Québec. Dans ce mémoire, j'affirme comme d'autres la nécessité d'études approfondies sur le comment et le pourquoi de cette industrie. De plus, je demande des études d'impacts cumulatifs sur chacune des régions visées, suivies d'un référendum municipal, local ou régional. J'ai insisté pesamment sur le fait qu'il ne fallait pas compter le nombre de puits qui peuvent fuir théoriquement, mais sur la proportion de puits qui fuient effectivement en Pennsylvanie, dans l'état de New York, au Colorado. Les risques de la fracturation hydraulique doivent être évalués en fonction de la valeur de ce qui est risqué, soit les principales terres agricoles du Québec, la population qui vit dans la vallée du Saint-Laurent, l'eau qu'ils consomment, l'air qu'ils respirent. Pour moi, le projet d'exploitation du gaz de schiste selon la technique de fracturation hydraulique ne fait pas sens dans le contexte d'une agriculture qui se vent plus biologique, dans un milieu agricole où le gouvernement lui-même demande de plus en plus des pratiques de culture écologique. Ce projet est d'autant plus incohérent que sa rentabilité n'a pas été démontrée. Cependant, je laissais une dernière chance à l'industrie, au BAPE et au gouvernement. Ce temps est passé.

Les fuites des puits constatées, soit 3 puits sur 30, 10% des puits, ont confirmé mes doutes. Selon moi, des accidents, des incidents et des males façons sont inévitables étant donné la fréquence et la complexité des opérations de fracturation. De par sa nature même, la fracturation hydraulique ne peut se faire « correctement ». Elle ne s'est jamais faite « correctement » ailleurs. Même avec une règlementation musclée et une volonté inflexible du gouvernement de surveiller de près cette industrie, volonté qui n'existe pas par ailleurs dans les faits, j'ai la conviction que des puits de deux ou trois kilomètres de long ne peuvent êre cimentés « correctement » sur toute la surface à tout coup. Comme ailleurs aux États-Unis, ces ouvrages se dégraderont nécessairement au bout de quelques dizaines d'années. Il m'apparait évident que la technique de fracturation, qui est le moteur technique de cette industrie, modifie de façon permanente et irréversible la géologie et l'hydrologie du sous-sol, tout en ne retirant que 20% de la ressource, laissant l'autre 80% peut-être inexploitable. Elle injecte dans le sous-sol des milliers de tonnes de produits chimiques, dont on ne sait rien du comportement à long terme.

C'est à l'industrie de prouver hors de tout doute qu'elle ne pollue pas l'environnement. Mais il est d'ores et déjà très clair que les produits chimiques introduits dans l'environnement sont des polluants potentiellement dommageables pour la santé humaine. Nous ne connaîtrons jamais la conséquence d'une opération de fracturation hydraulique massive sur le sous-sol de la vallée du St-Laurent à moins de la réaliser. Notre connaissance réelle de la géologie et de l'hydrologie étant somme toute assez faible, on ne peut prédire correctement et avec une absolue certitude ce qui arrivera une fois l'ensemble du sous-sol de la vallée du Saint-Laurent fracturée. Le principe de précaution s'applique en l'absence d'une telle certitude. C'est ce que le président de l'arrondissement de Manhattan appelait the « Uncalculated Risk», parlant de la protection de l'aire d'approvisionnent en eau de la ville de New York. Or les zones visées sont les zones d'approvisionnent en eau des populations en plus d'être des zones de production agricole que l'on voudrait écologique. Si le président de l'arrondissement de Manhattan peut se prononcer sur cette industrie, en raison des graves incertitudes sur son impact, je crois que les citoyens de la Vallée du Saint-Laurent le peuvent aussi. La fracturation hydraulique est une activité polluante et dommageable pour l'environnement social et communautaire qui doit tout simplement être bannie de la vallée du Saint-Laurent et probablement dans tout le Québec. D'ores et déjà l'implantation de cette industrie contredit la loi sur le développement durable, la loi sur la qualité de l'environnement, la loi sur la qualité de l'eau. Et que fait le gardien de ces lois? Le BAPE recommandera peut-être la création de projets pilotes de forage, mais comment garantira-t-il aux populations touchées que les conséquences seront nulles à court et à long terme, si elle réalise en même temps le forage et l'étude de ses conséquences ?


La lecture d'un article sur l'économie des gazières balaie mes derniers doutes sur la pertinence de l'implantation immédiate de cette industrie dans la Vallée du Saint-Laurent. Dans cet article on affirme clairement que l'industrie produit à perte parce que les gisements de shales se révèlent moins productifs que prévu. Les zones de très forte production avoisinent des poches de production médiocre. Les supposées réserves de gaz pour 100 ans se réduisent au dixième de cette durée. Pour maintenir la valeur de leurs actions, les compagnies annoncent continuellement des nouvelles découvertes de gaz. La valeur des actions des actionnaires est en chute libre, tout comme les prix du gaz. En somme, l'exploitation est à perte pour les actionnaires, les compagnies, et surtout pour tous ceux qui en subissent les ratés. Le bas prix des gaz de schiste est la conséquence d'externalités de pollution qui ne sont pas incluses dans le prix de la ressource, prix qui freinent l'essor des énergies renouvelables.

Le visionnement du film Au courant m'a montré la source de ce gâchis. Elle se trouve dans l'attitude des Bouchards et des Caillés qui ont mis dès 1996 la hache dans la politique d'énergies renouvelables du Québec pour favoriser le gaz et des centrales électriques de plus en plus coûteuses. Ils sont encore là les Bouchard, les Charests, les Caillés à promouvoir leurs idées dépassées et contre-productives, ce sont ces politiques qui détruisent actuellement la rivière Romaine. Ceux qui nous montrent la voie de l'avenir ce sont les Belisle, les Roy, ils sont de véritables visionnaires. Le grand projet du Québec, en conséquence de la fin de la possibilité d'harnachement des rivières, est de se tourner vers les énergies renouvelables, résolument.

Il y a quelques jours, je suis descendu à Québec pour déposer la pétition du gaz de schiste. Pendant qu'Amir Kadir lisait la pétition initiée par Marie-Hélène Parant et signée par 128,000 citoyens Jean Charest, baissait la tête, lisait et annotait des documents. D'aucune façon, lui ou son gouvernement, dans leur réponse à l'Assemblée nationale, n'ont accusé réception de la volonté des citoyens. Par cette pétition s'exprimaient des milliers citoyens, des syndicats, des groupes écologiques et surtout des groupes de citoyens disséminés dans l'ensemble de la vallée du Saint-Laurent. Le seul souci de jean Charest semble être de battre au jeu de la politique politicienne son adversaire Pauline Marois et non d'être à l'écoute des citoyens qui seront les utilisateurs-payeurs de cette industrie.

La découverte des gaz de shale est une bonne découverte. Personne ne conteste la valeur de ce gisement. Mais il se trouve sous nos meilleures terres agricoles et son extraction implique l'utilisation d'une technique inefficace et polluante, fortement perturbatrice des milieux visés. Il faut en tenir compte et faire un temps d'arrêt qui peut-être long. Pendant ce temps, la ressource ne peut qu'augmenter de valeur. Il faut amorcer la véritable révolution qui nous attend : celle des énergies renouvelables. Faire de chaque ferme, de chaque résidence une source de production d'énergie. Nonobstant la volonté d'Hydro-Québec et de ceux qui veulent à tout prix favoriser les intérêts de l'industrie de la construction. C'est la seule voix raisonnable qui s'offre à nous. Les membres des chambres de commerce et les industriels ont tout intérêt à adhérer à la vision des écologistes, elle sera bien plus productive en termes d'opportunités d'affaires et de retombées économiques durables pour le Québec que la très risquée aventure des gaz de schiste.

Claude Paré

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